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Juliette Avignon, stagiaire à l'Ecole de Guerre : Le défi de la navigabilité

Juliette Avignon, stagiaire à l'Ecole de Guerre : Le défi de la navigabilité

Juliette Avignon, stagiaire à l'Ecole de Guerre : Le défi de la navigabilité

Cet article a été rédigé par Juliette Avignon, stagiaire à l'Ecole de Guerre. Issue de la promotion école navale 99, de spécialité « énergie aéronautique », elle a essentiellement travaillé dans la maintenance aéronautique puis a été affectée pendant 4 ans à la Direction de la Sécurité Aéronautique d'État. La CC Avignon est actuellement stagiaire de la 22ème promotion de l'école de guerre.

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La navigabilité étatique est souvent perçue comme un frein aux opérations. Pourtant, elle tient compte des spécificités des missions de l'État et notamment celles des armées. Elle ne sera pleinement efficace que si les femmes et les hommes de la Défense l'acceptent et en assument les responsabilités.

La sécurité est une préoccupation majeure du monde de l'aéronautique. Les armées n'ont pas attendu la naissance de la navigabilité pour s'y intéresser. Celle-ci est néanmoins devenue une étape incontournable pour assurer une maîtrise et un contrôle accrus des aéronefs et de leur environnement. Les spécificités des missions étatiques en général et militaires en particulier ne doivent cependant pas être sacrifiées sur l'autel de la sécurité des vols. C'est pourquoi la navigabilité étatique, bien que dérivée de son homonyme civile, n'en est pas un parfait copier-coller. Elle remet la traçabilité, le contrôle et la responsabilité de chacun au centre de tout.

L'aviation étatique rattrapée par la réalité

La convention de Chicago en 1944 a créé l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI). Son objectif était de rendre plus sûre l'aviation civile en l'encadrant par des réglementations strictes garantissant la sécurité des biens et des personnes, à bord et sur les territoires survolés. La navigabilité était née. Les aviations d'État ont alors argué de leurs spécificités pour y échapper... Pourtant, la sécurité des vols n'est pas seulement une affaire de civils et l'aviation étatique pas seulement une affaire de militaires. Les aéronefs des armées, de la gendarmerie, des douanes et de la sécurité civile survolent des villes, des écoles. Ils circulent au milieu de compagnies aériennes privées. Ils sont susceptibles de se poser sur n'importe quel aérodrome en France et dans le monde. Alors pourquoi les armées seraient-elles moins exigeantes ? Leurs aéronefs doivent être au moins aussi sûrs et bien entretenus que n'importe quel aéronef à vocation commerciale. L'importance de leurs missions fait d'ailleurs penser qu'ils doivent être plus sûrs que les autres. Un Caïman doit décoller pour un sauvetage en mer par gros temps ? Un Atlantique 2 doit partir en mission de reconnaissance pour lutter contre la piraterie ou le trafic de drogue ? Un Rafale doit frapper l'État Islamique en Irak ? Des vies sont en jeu, les intérêts du pays également. La capacité à agir de ces aéronefs doit être garantie, et ce, sans mettre en péril leurs équipages ni leurs missions. En 2003, l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA) a d’ailleurs demandé aux États membres de tenir compte des objectifs de la navigabilité civile, dans la mesure du possible.

Le grand ménage de printemps

Mettre en place la navigabilité est donc une nécessité et un formidable défi technique. C'est comme vider son grenier, faire le grand ménage une fois pour toute. L’objectif est d’assainir la situation d’un parc d’aéronefs hétérogènes. Entre ceux dont la mise au point commence à peine et ceux qui sont en fin de vie, la tâche n'est pas facile. L'idée est d'assurer la traçabilité des pièces avionnées, des opérations de maintenance ou encore des qualifications des mécaniciens. Fin 2015, tous les organismes de gestion du maintien de la navigabilité et les organismes de formation devront être agréés. Fin 2016, tout aéronef étatique devra posséder un certificat de navigabilité (CdN) et un certificat d'examen de navigabilité (CEN) valides qu'on compare souvent respectivement à la carte grise et au contrôle technique des automobiles. Et enfin, au 31 décembre 2016, ce sera au tour de tous les organismes d'entretien d'être agréés, qu'ils soient de niveau de soutien opérationnel ou industriel, étatiques ou privés. Bref, d'ici trois ans, tous les aéronefs d'État devront évoluer dans un environnement « navigable » c'est-à-dire un environnement connu, contrôlé et maîtrisé, qu'ils soient en ligne ou en maintenance, en toute transparence.

Une réglementation adaptée

Mais loin d’être une simple transposition des règles civiles (les PART), la navigabilité étatique (les FRA) a pris en compte les particularités du monde militaire et de ses missions. La complexité des systèmes d'armes, l'emport de munitions, le risque opérationnel sont autant de notions qui diffèrent radicalement entre civils et militaires. Pour que la navigabilité reste le garant de la sécurité sans être un frein aux opérations, des moyens de déroger à la réglementation ont été mis en place. Des autorisations de vol ou des dérogations peuvent être délivrées dans certains cas particuliers quand l'aéronef n'est plus conforme, soit par la DGA autorité technique, soit par l'autorité d'emploi elle-même. Et quand les circonstances l'exigent, quand la mission prime sur toute autre considération, l'article 10 du décret 2013-367 peut être invoqué par l'autorité d'emploi pour autoriser un aéronef à décoller, quel que soit son degré de conformité.

Le retour en force du chef

Comme par le passé, il sera toujours possible de reporter des échéances de maintenance ou d’utiliser un aéronef pas tout à fait conforme. Mais demain, chacun devra assumer ses actes et ses choix. L’ancienne dilution des responsabilités n'aura plus cours. Navigabilité rime donc avec responsabilité, à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique, qu'elle soit technique ou opérationnelle. Mais dorénavant, cela doit se faire en toute transparence. Le chef déroge officiellement et engage sa responsabilité. Tout est question de dosage entre le risque acceptable pour l’équipage et l’aéronef et le service rendu par la mission. La navigabilité est donc avant tout un formidable défi humain annonçant le retour en force du chef : celui qui décide, quand tout n'est pas lisse, quand tout n'est pas simple, si l'avion doit décoller ou non.